NICOLAS DE STAEL_©_Denise Colomb

« Le large est à tout le monde, seulement chacun a des narines différentes pour en percevoir ce qu'il peut .» En formulant cet aphorisme, Nicolas de Staël a pris , dés le départ, le large d'une aventure picturale inclassable où les contrées qu'il construisit se succèdèrent sans bien se reconnaître. Nous avons à faire à un peintre voyageur, comme le fûrent Delacroix ou Gaugain, aimanté par les sensations multiples et les émotions qu'il arrache aux chevauchées, aux paysages et aux lointains. Il veut les traduire sur la toile  tous ces dépaysements qu'il poursuit et qui le secouent que ce soit en Espagne, au Maroc, en Italie ou en Sicile. 

 Né en 1914 dans la forteresse Pierre et Paul de St Petesbourg dont le père est gouverneur en second, Nicolas de Staël a été arraché par la révolution bolchevique à son pays, puis arraché à ses parents par la maladie et le désespoir en Pologne, plus tard arraché à sa première compagne par la mort. De l'exil dans une famille bourgeoise de Belgique, qui l'adopte avec ses soeurs, il fera un temps de stabilité affective et un temps de formation aux Beaux Arts de Bruxelles. Ensuite les amarres lâchent à nouveau. « Attention, nomade avant tout le reste, nomade né » dit-il en s'appropriant cet état permanent d'exilé qui sera moteur de sa vie et de sa peinture. « J'essaye un renouvellement continu » comme reprise permanente des moments de son existence qu'il tentera, vainement, de stabiliser dans le mariage et la vie de famille. Chez  Nicolas de Staël la peinture emporte tout. Anne, sa fille, le formule ainsi1 : « c'était tellement primordial pour lui d'être au travail dans son atelier que je sentais que, s'il n'avait pas été tenu à cela, il n'aurait pas pu respirer. ». Sa peur viscérale est de s'arrêter en chemin, de construire un style, de ne plus parvenir à chercher aventureusement d'autres voies, d'autres accès, autant d'exils imposés, et alors de s'effondrer. Réussir, répondre à des commandes, vendre beaucoup, devenir célèbre voilà pour lui le bord du gouffre. Il va s'en approcher et y céder finalement.

 Chez  Nicolas de Staël il y a la frénésie de l'acte de peindre qui va croissante au cours de ses 12 années de production. « Il n'avait pas le temps. Il vivait dans un autre temps : un temps tellement pressé, une urgence. Comment n'a-t-il jamais lâché l'urgence ? Il est mort au bout de l'urgence. » ajoute Anne de Staël. Chez lui c'est une urgence altière, celle d'une très aristocratique ascendance familiale, qu'il convertit en exigence picturale. Altière comme dans les photos de Denise Colomb où s'imposent sa haute taille et le défi de ses bras croisés, défi qu'il provoque du regard. Ni le temps, ni sa production ne lui laissent la possibilité de se reposer, jamais il n'acceptera d'être battu, de reconnaître un échec et même un simple arrêt : il brûle. L'exil encore à l'intérieur de sa peinture même. Il s'y jette pour conjurer sa déchirure intime. Les « périodes » se succèderaient-elles dans sa production ? On aimerait le penser mais pour lui c'est plutôt à chaque toile un arrachement pour combattre les clichés si vite arrivés, les répétitions stériles, les satisfactions émolientes qui endorment l'acuité de sa vision. « Je fais simple et c'est ce qui est difficile pour moi. »

« Le large est à tout le monde, seulement chacun a des narines différentes pour en percevoir ce qu'il peut. » En formulant cet aphorisme, Nicolas de Staël a pris, dès le départ, le large d'une aventure picturale inclassable où les contrées qu'il construisit se succédèrent sans bien se reconnaître. Nous avons à faire à un peintre voyageur, comme le furent Delacroix ou Gauguin, aimanté par les sensations multiples et les émotions qu'il arrache aux chevauchées, aux paysages et aux lointains. Il veut traduire sur la toile tous ces dépaysements qu'il poursuit et qui le secouent que ce soit en Espagne, au Maroc, en Italie ou en Sicile. 

Né en 1914 dans la forteresse Pierre et Paul de St Pétersbourg dont le père est gouverneur en second, Nicolas de Staël a été arraché par la révolution bolchevique à son pays, puis arraché à ses parents par la maladie et le désespoir en Pologne, plus tard arraché à sa première compagne par la mort de celle-ci. De l'exil dans une famille bourgeoise de Belgique, qui l'adopte avec ses sœurs, il fera un temps de stabilité affective et un temps de formation aux Beaux Arts de Bruxelles. Ensuite les amarres lâchent à nouveau. « Attention, nomade avant tout le reste, nomade né » dit-il en s'appropriant cet état permanent d'exilé qui sera moteur de sa vie et de sa peinture. « J'essaye un renouvellement continu » comme reprise permanente des moments de son existence qu'il tentera, vainement, de stabiliser dans le mariage et la vie de famille. Chez Nicolas de Staël la peinture emporte tout. Anne, sa fille, le formule ainsi1 : « c'était tellement primordial pour lui d'être au travail dans son atelier que je sentais que, s'il n'avait pas été tenu à cela, il n'aurait pas pu respirer. » Sa peur viscérale est de s'arrêter en chemin, de construire un style, de ne plus parvenir à chercher aventureusement d'autres voies, d'autres accès, d'autres mondes, autant d'exils imposés. S'arrêter c'est s'effondrer. Réussir, répondre à des commandes, vendre beaucoup, devenir célèbre voilà pour lui le bord du gouffre. Il va s'en approcher et y céder finalement. 

Chez Nicolas de Staël, la frénésie de l'acte de peindre va croissante au cours de ses 12 années de production. « Il n'avait pas le temps. Il vivait dans un autre temps : un temps tellement pressé, une urgence. Comment n'a-t-il jamais lâché l'urgence ? Il est mort au bout de l'urgence. » ajoute Anne de Staël. Chez lui on cotoie une urgence altière, celle d'une très aristocratique ascendance familiale, qu'il convertit en exigence picturale. Altière comme dans les photos de Denise Colomb où s'imposent sa haute taille et le défi de ses bras croisés, défi au monde qu'il provoque du regard. Ni le temps, ni sa production ne lui laissent la possibilité de se reposer, jamais il n'acceptera d'être battu, de reconnaître un échec et même un simple arrêt : il brûle. L'exil encore à l'intérieur de sa peinture même. Il s'y jette pour conjurer sa déchirure intime. Les « périodes » se succèderaient-elles dans sa production ? On aimerait le penser mais pour lui c'est plutôt à chaque toile un arrachement pour combattre les clichés si vite arrivés, les répétitions stériles, les satisfactions émollientes qui endorment l'acuité de sa vision. « Je fais simple et c'est ce qui est difficile pour moi. »

 Gilles Deleuze formule une suggestion de l'acte de peindre qui s'accorde admirablement à Nicolas de Staël. Citant Francis Bacon2 : « Dans tous les arts, la peinture est sans doute celle qui intègre nécessairement, « hystériquement », sa propre catastrophe et se constitue dès lors comme une fuite en avant. » L'acte de peindre, et non principalement la représentation picturale, est une catastrophe, un déséquilibre et une désagrégation, un chaos, qui sont nécessaires pour que quelque chose en sorte. Le chaos est inséparable d'une naissance. La peinture est une « catastrophe-germe » qui fait surgir la couleur. N'est-ce pas ainsi que nous devons regarder les œuvres de Nicolas de Staël après son voyage en Sicile ? Œuvres très géométriques avec leur immuable point de fuite qui attire le spectateur vers l'au-delà de la toile, l'invite à basculer dans un invisible ; par-dessus tout , elles « brandissent » littéralement la lumière et les contrastes paroxystiques de couleurs pures — des verts, des jaunes, des violets, des oranges, parfois aussi des bleus et des verts très sombres — établissent le ciel. L'éblouissement de ce voyage familial en Italie et dans le sud de la péninsule en 1953 qui se traduit par un jaillissement de couleurs et de formes jamais tentées pour s’approcher de l'essence du réel. Ce sera continuellement une quête métaphysique qui le saisira. Il semble, plus que jamais, atteindre à la simplicité qu'il recherche. « Je suis devenu corps et âme un fantôme qui peint des temples grecs » écrit-il à René Char3, anticipant ainsi la remarque de Rothko qui quelques années plus tard voyage sur les mêmes sites : « J’ai peint toute ma vie des temples grecs sans le savoir ». « Le motif du temple, dit encore Stéphane Lambert4, est en soi un symbole qui relie les deux mondes ». De son côté Deleuze le formule aussi en s'inspirant de propos de Cézanne : les peintres « ne font jamais que peindre une chose, le commencement du monde »5 et il ajoute que ce thème parcourt toute la peinture.

Pour Gilles Deleuze « le peintre se jette dans cette espèce de tempête qui va précisément annuler, faire fuir les clichés »6. A moins que les grands maîtres ne soient, au contraire, jetés dans des tempêtes qu'ils doivent affronter pour ne pas être submergés. Le peintre, avec sa sensibilité aigüe, touche un temps chaotique originaire, l'instant où surgit le monde dans sa virginité, instant qui est aussi sa propre naissance au monde. Instant fragile entre tous qui se présente comme (est) une fracture toujours unique et fondatrice engendrant une conscience nouvelle. Instant dont il s'approche et tente de rendre compte par la forme et la couleur. Deleuze précise que le risque « est que la catastrophe recouvre tout. » Que se passe-t-il alors ? C'est la grisaille et Delacroix disait que le gris était l'ennemi du peintre. C'est l'aspect directement pictural. Mais la catastrophe qui « recouvre tout » c'est aussi la dépression qui peut saisir l'artiste ou la psychose qui le guette. « Il y a toujours quelque chose d'absent qui me tourmente » écrivait Camille Claudel à Rodin.

La période de la guerre au cours de laquelle Nicolas de Staël peint en atelier à Paris, est dominée par des œuvres nocturnes, sombres, entre gris et noir, où s'entrecroisent des géométries diverses, parfois pointues comme des épines, des enchevêtrements d'où la couleur surgit comme une effraction dans la nuit sous l'amoncellement de matière dont les couches se superposent brutalement sur la toile. Il travaille de plus en plus au couteau et recouvre continuellement une épaisseur par une autre sans tenter d'évincer les rares éclats colorés des couches inférieures. La couleur parcimonieusement s'arrache à la nuit et au chaos. Dans Composition en noir de 1946 un personnage combattant semble surgir des profondeurs obscures et brillantes de la matière et s'avancer avec deux pointes luminescentes, presque menaçantes, pourtant directrices et volontaires. Un défi. Toujours son défi.

Jeannine Guillou était la mère d'Anne, la fille unique du couple. Elle avait toujours soutenu et encouragé Nicolas mais meurt brutalement d'épuisement au début 46. L'adversité tel un abîme risque de l'engloutir à nouveau et le force à une nouvelle étape de création. Dorénavant, à 32 ans, il tente de s'arracher à une vie menaçante par une recomposition de ses toiles et un éclaircissement progressif des tons. Les décors abstraits évoluent en architectures complexes et surchargées d'où les couleurs sombres disparaissent remplacées par des dominantes beiges, des bleu-gris, des verts pâles. Dans les couches picturales ensevelies des traits rouges et orangés gisent comme feu sous la cendre et annoncent l'explosion future des couleurs. Puis de Staël élargit les formes, autrefois proches d'un inextricable entrelac, d'une accumulation de barreaux de prison, pour les épanouir en plus larges aplats et les assembler avec plus d'harmonie.

Progressivement les couleurs vives surgissent et de plus en plus s'imposent dans la palette : elles reflètent sa très grande sensibilité car « On ne peint jamais ce que l'on voit ou croit voir, on peint à mille vibrations le coup reçu » dit-il. Il fragmente sur la toile le monde qu'il perçoit puis le ressoude comme pour contenir le chaos qui pointe à chacun des coups reçus. L'urgence reste forte et s'amplifie encore avec la recherche de sensations toujours renouvelées.

La Sicile sera pour lui ce moment déterminant qui lui permettra d'épanouir son art, emporté par des couleurs qui reflètent la lumière intense de la Méditerranée et les horizons lointains qui jouent avec le vide et la limite. A René Char il parlait de la lumière vorace et fulgurante du sud et ajoutait je la ferai « claquer au vent »7.

Son activité artistique n'est pas dissociable de ses tentatives de colmater la brèche intérieure. L'un ne semble pas pouvoir se résoudre chez Nicolas de Staël sans l'autre. Dans sa technique des premières années il accumule la matière, la taillade, la brutalise sur la toile mu par une secrète attente, emplâtres de couleurs vives et intensément contrastées pour obturer la plaie qui s'élargit.

« Staël a traversé l'énorme densité de la matière du premier au dernier de ses tableaux » explique sa fille Anne8. Lui-même dans une lettre à Char parle d'« une dureté de la matière éternellement dure »9 . Il est emporté par une fureur créatrice qui ne le quittera jamais. En douze années de peinture il fera plus de mille tableaux. La « Furor » est une traduction latine du mot grec « mania » qui signifie folie ou délire. Sénèque écrit ainsi que « Jamais rien de grand ne surgit sans un certain délire (ou démence ou démesure). » et depuis Platon le délire est divin. Nicolas de Staël a été poursuivi par son démon intérieur qui l'a enjoint de créer et pour cela il lui a fallu, comme pour beaucoup de grands artistes, dépasser toutes les limites raisonnables, par intrépidité et par nostalgie d'un ailleurs, d'une beauté inaccessible. L'aventure est, chez lui, toute spirituelle.

C'est ce que semble montrer une des dernières de ses œuvres, intitulée Le concert, qui est au musée d'Antibes et qui fait la taille immense de 3,5m sur 6m. Il l'entreprend en mars 1955 après avoir entendu deux concerts de Webern et Schoënberg à Paris. A son retour en Provence il traduit ses impressions en un rouge écarlate qui sert de fond dominateur à un piano de concert noir et une immense contrebasse d'un jaune-orange un peu triste qui dégouline. Du clavier s'échappe un jet de partitions blanches ou grises et un invisible orchestre qui tente le rassemblement organique des notes coincées entre le piano horizontal et l'ampleur verticale de la contrebasse qui se liquéfie. Mais quelle solitude ! Quel rouge et quel vide ! Au point qu’immanquablement l'œil juge l'œuvre seulement ébauchée. Pourtant le feu a pris et embrase le tableau, l'alerte est manifeste et emporte déjà tout. Le 16 mars il se jette de la terrasse de son atelier. Le vide et la lumière du sud l'ont définitivement absorbé.

« Les années 1950-1954 apparaîtront plus tard, grâce à cette œuvre, comme des années de « ressaisissement » et d'accomplissement par un seul à qui il échut d'exécuter sans respirer, en quatre mouvements, une recherche longtemps voulue. Staël a peint. Et s'il a gagné de son plein gré le dur repos, il nous a dotés, nous, de l'inespéré, qui ne doit rien à l'espoir. » René Char10

Exposition au Musée d'Art Moderne de Paris jusqu'au 21 janvier

 

Frédéric Delarge

 

 

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