Le concept de vaccination précipite régulièrement des affrontements structurés par deux conceptions du monde opposées. La pandémie et l’usage discutable du concept de "vagues virales" successives permettent d’en proposer une analyse unitaire, peut-être plus fédérative qu’en temps ordinaire.

Les vagues virales en question

Le terme de vague est intensément utilisé depuis l’irruption du coronavirus de type 2. Le fait de conserver cette terminologie cyclique pour décrire les résurgences virales confinement après confinement, pose problème : si les vagues se succèdent selon une dynamique similaire, c’est bien que la force qui les fonde demeure la même malgré le caractère intermittent des poussées. Ces vagues sont-elles virologiquement différentes ? Quelles en sont les conséquences interventionnelles ?

Les effets immunologiques bénéfiques des virus à ne pas ignorer

Les pandémies virales passées impliquant des virus aux caractéristiques pathogènes relativement comparables au coronavirus de type Sars-Cov2, les virus de la grippe par exemple, impliquaient plusieurs vagues à la suite, généralement espacées, à des époques auxquelles la vaccination contre ces virus demeurait inaccessible. Les vagues successivement affrontées étaient alors, comme immémorialement, déterminées par une confrontation entre deux types de forces, la force virale d’un côté et la force conservatoire immunitaire de l’autre, s’érigeant en limites réciproques. Cette confrontation était, comme lors de toute infection naturellement contractée, source de dynamiques évolutives pour les deux parties, virale et humaine, en vue d’une acceptabilité mutuelle plus fréquente. Autrement dit, les espèces virales fonctionnent comme des entités éducatrices des limites immunitaires du sujet, de la même manière que le sont les rencontres sociales de la petite enfance lorsqu’elles sont favorisées par une promiscuité régulée. Dans les deux cas, il s’agit de limites, et des limites biologiques bien posées augurent de capacités à poser des limites interactionnelles fécondes. Les parents ne s’y trompent généralement pas en favorisant l’accession de leurs enfants à la crèche autant que possible. Les allergies, elles, reposant sur l’érection de limites immunitaires obsolètes, concentrent leur force sur des antigènes sans avenir.

Pour qu’une espèce virale évolue d’une manière a priori féconde lorsqu’il n’est plus envisageable de la contenir en vue d’une improbable disparition ultérieure, et pour que chaque vague virale diffère donc réellement des précédentes en vue d’une évolution potentiellement féconde pour l’hôte, il faut que le modelage de celles-ci ait lieu sur des bases cliniques, c’est-à-dire immunologiques, qualitatives, et non pas purement sanitaires par temps urgent, c’est-à-dire quantitatives : en bref issues de simples restrictions. Husserl le montre bien quand il démontre que la légitimité d’une science rigoureuse ne peut pas considérer la quantité – la quantité de contaminations ou de décès – comme essentielle au traitement d’un problème. La quantité est une catégorie envers laquelle une démarche sanitaire mise sur pied par temps de catastrophe est particulièrement dépendante (du fait du caractère transcendentalement irréfutable, donc rassurant à court terme) du chiffre. Si Husserl modère à bon droit le totem du chiffre, Hegel, lui, réintègre dans la Science de la Logique le rapport au chiffre dans une démarche spéculative processuelle au sein de laquelle quantité, qualité et mesure comptent comme autant de moments d'accession à un jugement, dit-il. Le jugement équivaut chez Hegel à une évaluation logiquement fondée de la situation, comme le terme allemand Urteil l’indique.

Quand la vaccination est-elle utile ?

La particularité des vagues virales de 2020 consiste donc en leur absence de mise sous contrainte par la physiologie humaine : chacune doit être brisée à partir des seules bases sanitaires. D’un point de vue évolutif, elles sont donc une et même vague, toujours la première, très peu modelée cliniquement par les capacités des patients eux-mêmes. C'est le même virus qui revient inlassablement. 

Dans un tel contexte, l’opportunité de la vaccination apparait légitime puisque celle-ci dispenserait des millions de patients potentiels de ce lent travail de négociation et de polémique avec le virus sur des bases interactionnelles vivantes, c’est-à-dire de qualité à qualité, ou disons-le plus clairement en phénoménologie, d’être à être, avec bien sûr leurs risques associés.

Le déploiement de l’aventure humaine en tant qu’épopée maintenant largement émancipée des contingences de la nature n’a probablement pu se produire qu’en tant que résultat d’efforts immunitaires permanents contre les innombrables formes microbiennes qui l’ont accompagné, menacé, et parfois aussi aiguillonné. Certaines traces archéovirologiques en demeurent non seulement évidentes sur le plan génétique (voir pour cela les travaux de M. Emerman), mais aussi ontogénique (Cf les travaux de A. Hellman et ceux, nombreux, qui en découlent). En ce sens, dans le champ microbiologique, l’histoire virologique donnerait donc raison à une négativité hégélienne de très longue durée, qui ne peut être entendue que sous le régime d’une dialectique continue mue in fine par le sujet humain, tiers terme qui ne peut être défini qu’en creux, et non positivement. La stratégie vaccinale, fait, elle, appel à un quart terme : la technique biochimique, qui brise cette processualité laborieuse et ses détours d’où, peut-être, son succès fulgurant.

Pourquoi la vaccination ne doit pas être rendue obligatoire ?

Qu’est-ce que la vaccination, du point de vue phénoménologique ? Comme on le sait, la vaccination telle qu’elle entre en jeu au coeur de l’épopée virologique qui est la nôtre en 2020, est une démarche préventive. En cela, elle satisfait aux deux critères heideggériens principaux de qualification de la technique : la provocation et l’arraisonnement. La provocation de l’hôte par l’antigène viral support du vaccin suscite une concentration de ressources immunitaires au repos autour d’un antigène vaccinal isolé, tiré hors de l’histoire globale et individuelle de l’infection virale en question, et déforme par là même les limites immunitaires générales du patient, tout en les rendant particulièrement efficaces contre cet antigène précis, qui est en fait plus proche d’un quantum que d’un spectre antigénique continu issu d’une infection naturelle. L’arraisonnement, comme on le pratique en marine militaire aux dépens d’un navire fluctuant au gré des impensés, tels que les masses marines le symbolisent, signifie donc ramener au sein de la raison, de la ratio telle que positivement pensée. L’arraisonnement d’un virus contracté par des voies naturelles, régulées et régulables en rapport avec la physiologie générale du sujet, devient alors possible par la vaccination préalable, victoire éclair, souhaitable et légitimement recherchée en termes épidémiologiques par temps urgent. Mais aussi opportunité esquivée pour un enrichissement de la plasticité immunitaire de ce même sujet. Il est bon de rappeler que la plasticité, concept biologisant d’une vertu recherchée à des niveaux bien plus généraux par chacun d’entre nous, ne peut se nourrir que de la pluralité des vraies rencontres et des chemins auxquels celles-ci incitent.

En cela, la vaccination anticoronavirale semble destinée aux classes de patients les plus mises en danger par le virus, et très bien identifiées. Ceux-là seraient alors rassurés, et probablement objectivement protégés, pour le bien de tous. La majorité gagnerait, elle, à relever le défi de la lutte avec l’ange, même si sa figure est toujours équivoque, comme les croquis tardifs du peintre Paul Klee sur ce thème le montrent bien.

La question vaccinale est régulièrement confisquée par des lois ou des invectives entre des états craintifs scolastiquement, automatiquement favorables aux vaccins, et des personnes qui ne leur sont que réactionnairement hostiles. Souhaitons que la fameuse loi de sécurité globale ne s'enrichisse pas d'un article de sécurité médicale, et ne se considère donc pas compétente dans ce type de dispute.

Romain Parent

Romain Parent est pharmacien et docteur en virologie. Il est chargé de recherches (Inserm) au Centre de recherches en cancérologie de Lyon. Il anime une UE d’épistémologie à l’université Claude Bernard, dans le dessein d’y articuler la philosophie continentale à l’oncologie moléculaire et médicale.

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