Sàndor Ferenczi, l’enfant terrible de la psychanalyse

Benoît Peeters, Flammarion, 2020

Les livres contemporains capables de nous transporter dans un autre univers sont rares. C’est le cas de cette remarquable biographie de Sàndor Ferenczi (1873-1933) écrite par Benoît Peeters.

Le livre saisit dans le vif les sentiments les plus intimes d’un homme qui a consacré sa vie à la recherche psychanalytique confondant la passion de la discipline avec la passion de son créateur, Sigmund Freud.

Doté d’une vivacité d’esprit et d’une intelligence exceptionnelle, Ferenczi viendra grossir la cohorte des héritiers potentiels du maître. Freud, qui a besoin de s’entourer d’êtres exceptionnels pour défendre sa cause, a très vite mesuré les capacités de Ferenczi. Mais l’inconvénient majeur de ce mode d’adoubement est que les disciples ont tendance à vouloir doubler le maître.

Dix-sept années séparent Ferenczi de son maître. Suffisamment d'années pour pouvoir revendiquer une filiation et pas assez cependant pour avoir la force de tuer symboliquement ce père et porter plus loin sa propre analyse, comme ont pu le faire d’autres compagnons de route de Freud, tels Adler et Jung par exemple. Sàndor Ferenczi sera piégé par l’immense admiration, proche de l’adoration, qu’il porte à Freud avec lequel il partagea, sans retenue, ses tourments existentiels et amoureux, parfaitement retracés par Benoît Peeters.

Proche de Georg Groddeck, autre esprit libre dans la mouvance de la psychanalyse, Ferenczi élargit le champ psychanalytique à une vision anthropologique qui déplaît à Freud, ce dernier ne cessant de border la doxa qu’il développe lui-même pas à pas.

Mais c’est sur un aspect les plus importants de la découverte psychanalytique que le désaccord va progressivement ronger leur relation, laissant Ferenczi exsangue, aux portes de la mort. Le sujet central du désaccord concerne le statut du trauma à l’origine des troubles psychiques.

Lorsque Freud analyse le discours des hystériques, qui fondera les bases de la psychanalyse, il commence par accorder foi aux récits des malades ; mais il se rendra assez vite compte que ces récits, souvent scabreux, relèvent d’une affabulation et découvrira ainsi une autre instance de la psychanalyse : le fantasme. Il ne reviendra plus sur cette position et ne comprendra pas que Ferenczi puisse constater auprès de ces analysants que les traumas sont quelquefois réels[1].

Quand on sait aujourd’hui qu’un enfant sur dix est sexuellement agressé dans les familles, on ne peut que regretter que Ferenczi n’ait pas été écouté. On peut aussi regretter que Ferenczi n’ait pas suffisamment analysé les cas de Freud, telle la petite Dora, qui avait été réellement agressée par l’ami de son père ; ou encore le fameux homme aux loups[2] , qui avait certainement assisté, enfant, à des scènes sexuelles exhibées par sa Nania et subi des attouchements de la part de sa sœur. On ne refait pas l’histoire, mais cette dernière il faut bien le dire, donne raison à Ferenczi.

Freud restera sur ses positions, mais sera bien sûr touché par la disparition précoce de Ferenczi. Cela ne l’empêchera pas d’interdire durant dix années, avec la complicité de Jones, la publication d’un des textes les plus importants de Ferenczi : La confusion des langues entre les adultes et l’enfant[3] , dans lequel il expose sa théorie du trauma.

Benoît Peeters, dans ce livre passionnant, réussit à tisser pour nous l’étrange écheveau de la vie de celui qu’on a appelé « l’enfant terrible de la psychanalyse » ; une vie faite d’enthousiasmes devant la découverte que représente l’accès à l’inconscient, de sentiments très vifs à l’égard du génie freudien, le tout sur fond d’une existence avec ses peurs, ses doutes et ses failles. Sans oublier que le livre est illustré de nombreuses photographies des protagonistes, qu’on ne se lasse pas de regarder comme s’il y avait encore quelques secrets à percer.

Linda Gandolfi

[1] A ce propos, on sait aujourd’hui, d’après la correspondance de Freud avec Fliess (partie encore non traduite en français), que le père de Freud, Jacob, a eu des gestes incestueux vis-à-vis de ses filles et peut-être même avec Freud.

[2] Voir S. Freud, Cinq Psychanalyses, Puf, 2007

[3] S. Ferenczi, La confusion des langues entre les adultes et l’enfant, Payot, 2016

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